Vers tonton Fanch, sonneur en panne
Elle est tombée de son clocher,
Elle est tombée, notre campane,
Tel un bigorn de son rocher.
Sonnant ses propres funérailles
Dans un bruit sombre de ferraille.
Faite par Jacques Le Beurier
En mil sept cent cinquante-quatre,
Elle n'avait cessé de battre
À son septuple balancier.

On entoura la paroissienne,
Car une cloche c'est quelqu'un,
Et l'on vit sur l'auguste ancienne
Se lamenter le bon Salaün.
Pour sûr qu'elle a rendu son âme
Entre les mains de Notre-Dame !
Il s'eût fallu l'esprit obscur
D'un digaloun ou d'un sauvage
Pour méconnaître un personnage
Ainsi venu, du noble azur.
Par cette langue dans l'espace
Ayant la forme d'un battant.
On savait tout ce qui se passe
Au fond du ciel et dans le temps.
Adieu le verbe de lumière
Au manoir comme à la chaumière !
Plus d'angelus dans le matin
Sur la récolte et sur la pêche !
Sur le baptême à la chair fraîche,
Pauvre tonton, plus de tintin !

Éclatant fut son sacerdoce
Entre Noëls et grands pardons.
Ce qu'elle en a sonné, de noces,
À coups d'ardents digue ding dong !
À son appel que de bolées !
Que de baisers sous ses volées !
Toujours dispose à bienheurer
Comme une sainte et brave fille
Elle était donc de la famille,
— Et son silence fait pleurer.
Lorsqu'un chagrin closait la porte,
Elle planait sur nos douleurs.
On a besoin qu'on vous apporte
Un peu d'espoir en vos malheurs.
Cloche du bourg, à leur partance,
Combien vis-tu, de ta potence,
D'êtres couchés par le trépas
Dans le lit clos de la matière,
Que tu suivais au cimetière
En les berçant entre tes glas ?
Dans les angoisses de la houle
On s'accrochait à ton tocsin ;
Tu recevais, telle une poule,
Nos cœurs pareils à des poussins,
Et sous l'airain de ta grande aile,
On écoutait ton cœur fidèle
À qui Fanchik, pieux bedeau,
Faisait de par sa révérence,
Battre le thème d'espérance
Au gré nerveux de son cordeau.
Sachant qu'on loge ton dommage
Chez Barbu notre forgeron,
J'y viens t'apporter mon hommage,
Et tu m'accueilles d'un ronron.
Vivante encore est la mam'coze
Puisqu'à voix basse elle me cause !
Toi qu'on crut morte après le saut
Du fantastique virevire
Où tu croulas comme on chavire,
Qui donc t'a fait choir de là-haut ? |
Ô vertueuse Dame Cloche
Qui dévidais calendrier
En martelant notre caboche
Avec les Saints depuis janvier.
Unis dans une longue strophe,
À quoi revient la catastrophe
Où se rompirent tes crochets ?
Est-ce à l'abus de tes services ?
Est-ce à la faute de nos vices ?
Est-ce au poids lourd de nos péchés ?
Ou bien, as tu voulu, ma Cloche,
Risquer le formidable saut
Pour voir les hommes de plus proche,
Eux jusque-là vus de si haut ?
As-tu voulu, céleste vieille,
Leur dire un secret à l'oreille ?
As-tu voulu, par-dessus bord,
Magnifier ton saint office
En nous offrant le sacrifice
De nous aimer jusqu'à la mort ?

Au moins, a-t-on sur la servante
Daigné répandre quelques pleurs ?
Est-on venu, foule fervente,
À ta souffrance offrir des fleurs ?
Je ne vois pas, en essaim d'âmes,
Autour de toi les saintes femmes.
Te voilà seule en cette cour,
Épave parmi des décombres,
Mais, te veillant, se tient dans l'ombre,
La Vierge de Rocamadour.
Pour un outil certains te prennent,
Ne sentant pas ton cœur vivant.
Peu de fidèles te comprennent
Quand tu leur parles dans le vent.
Tu n'es pour eux qu'une crécelle
En danse au bout d'une ficelle.
Mais je sais, moi, qu'en le ciel bleu
Un bel archange te balance,
Et que le son qui s'en élance
Est la voix grave du bon Dieu.
Laisse Barbu soigner ta gorge
Et ton justin couleur de sous.
Entre sans crainte dans la forge
Où gens de fer ont le cœur doux.
Pour te panser, voilà Jérôme
Au marteau ferme dans la paume.
Persoun après viendra poser
Le signe en croix sur ta blessure,
Et si tu veux, pour ta cassure,
Accepte, ô Cloche, mon baiser.
Pour te rependre à la poutrelle
En ton métal brillant à neuf,
Voici venir de la chapelle
Le vieux sonneur au crâne en œuf.
Ohé, les gâs, tous à la drisse !
Au mât de pierre qu'on la hisse !
Et maintenant qu'on est paré,
Tonton, commence la musique.
Et dans un branle magnifique
Fais planer Dieu sur Camaret !

Du Toulinguet à la Tavelle
Et de Trez-Rouz au Tas-de-Pois,
Cloche, répands la joie nouvelle
Sur les bateaux et sur les toits !
Bénis les fleurs de notre lande,
Bénis les fruits de la mer grande,
Et qu'on entende tout le jour
Cet hosanna de l'allégresse
Où chaque note fait caresse,
Car le vrai Maître — c'est l'Amour !
SAINT-POL-ROUX. |