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1944

Le dernier moulin

Quand la guerre remet un moulin dans le vent...

 

un texte de Jim-E. Sévellec 1

 


Les moulins de Camaret, vers 1890

auteur inconnu - source arch. mun. de Brest, cote 2Fi11794

 

 

 

À mon camarade d'enfance Jacques Praslon, en toute amitié       

 

La presqu'île de Crozon possédait, au début du siècle, une des plus belles collections de moulins qu'il fut possible de trouver à travers toute la France sur un territoire de même importance. Je veux parler des moulins à vent et, il y avait à cela une raison : depuis l’Aulne jusqu'aux Tas de Pois, en passant par la Pointe Espagnole et le Cap de la Chèvre, il n'existe pas de ruisseaux, tout au plus des ruisselets dont le débit serait insuffisant pour faire fonctionner une roue à aubes tandis que le terrain très accidenté de la région permettait de situer une quantité de points favorablement éventés pour pouvoir faire tourner des ailes.

Lorsque je me reporte à cette époque et que je refais par la pensée les deux routes, celle du Nord qui aboutissait à Landévennec et celle du Sud qui nous reliait Châteaulin et au Porzay, je revois défiler ce nombre impressionnant de moulins à vent qui devait atteindre au moins le total de cinquante et vraisemblablement davantage. 2

 


Moulin de Lambézen, vers1935

coll. particulière, famille Rigault

Quand j'étais enfant, que nous revenions d‘une visite à Brest et quand, quittant le bateau à la cale du Fret, nous prenions les voitures à chevaux, celle de Chantoux, celle de Laurent, celle de Languil, qui nous trimballaient tant bien que mal au gré des méandres de la route vers Camaret, nous étions salués, tout en haut de la côte, par la fine silhouette du « moulin du chat », d'où l'on jouissait d'une magnifique vue sur la rade de Brest, puis, deux kilomètres plus loin apparaissaient sur les hauteurs dominant Kerloc'h, deux autres moulins, faisant pendant, de l'autre côté de la route, à ceux de Lambézen et de la crête roscanvéloise. En arrivant au sommet de la grande descente aboutissant à Camaret, les vestiges d‘un vieux moulin aux trois quarts démoli nous souhaitaient la bienvenue comme l'aurait fait une ailleule ; nous I‘appelions le « moulin cassé » et c'est alors que, devant nos yeux, s'alignaient aussitôt les six unités de première ligne qui montaient la garde, face aux vents du large depuis le Lannic jusqu'à Kermeur.

 

 

Je me souviens dans ma jeunesse de regarder de loin tous ces moulins tournant à l'unisson, brassant majestueusement l'air de leurs grandes ailes aux voiles gonflées de vent. Ils donnaient au paysage une extraordinaire animation et, quand on s'approchait de l‘un d'eux, on percevait de mieux en mieux sa chanson aux notes grinçantes alternant certaines autres plus douces. Elle était devenue pour moi, cette chanson, une mélodie familière qui égayait les jours ensoleillés de l'été et à laquelle s'ajoutait, en hiver, le hululement des voilures engrossées et celui de la brise qui geignait en s'entortillant dans les landes et dans les genêts.

 

 


Moulins de Camaret vers 1925

photo G. L. Arlaud
source Ministère de la culture (France),
Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN

 

 

Et quelle joie j'éprouvais au printemps, quand j'allais, ivre du renouveau, m'ébattre avec mes petits camarades sur la butte du Lannic sous l'abri tutélaire des grandes ailes du moulin La[r]genton : j'écoutais avec ravissement le crissement des voiles qui, sous l'impulsion du vent, faisaient manœuvrer les meules. Mon imagination d'enfant, aidée peut-être par l'inspiration de ma douce maman, m'avait permis d'interpréter ces bruits à ma manière et je chantais parfois à tue-tête un refrain imaginaire, toujours semblable et sans cesse répété, que je croyais être celui du moulin, en respectant le synchronisme de la cadence des ailes qui jouaient ainsi le rôle d'un somptueux métronome.

... Et je le broie ton grain !… Et je le mouds ton grain !

 

Peu à peu les moulins se sont tus, les uns après les autres, la plupart d'entre eux avant le conflit de 1914, et, quand après l'effroyable tourmente, rendant grâce à Dieu de m'avoir permis d'en réchapper, je me retrouvais dans mon pays natal, il n'y avait plus sur le territoire de la commune qu'un seul moulin qui continuât à jouer le rôle ; mais il tournait encore allègrement le moulin de Kermeur, dressant fièrement contre le vent sa silhouette trapue et ayant toujours son capitaine à la barre et, quand je voulais retrouver des souvenirs de mon heureuse enfance, quand je désirais me rappeler de doux moments, c'est vers lui, vers l'unique et vieux moulin que je grimpais pour écouter de nouveau la douce ritournelle qu‘inlassablement je répétais pour moi seul.

... Et je le broie ton grain !… Et je le mouds ton grain !

 

On l‘appelait aussi le moulin à Praslon ; c'était le nom du brave homme qui en était devenu le propriétaire, et qui le fit marcher envers et contre tout jusqu'à 1940. Il était cependant arrêté à l'arrivée des Allemands car, peu de temps auparavant, une aile s’était brisée et n'avait pas eu le temps d'être réparée.

Le père Praslon était ce qu'il convenait d'appeler un vrai meunier. Il avait commencé par exercer son métier à Lambézen, d'abord au moulin de Pen-Ar-Rehr puis dans un autre du même village avant de venir s'installer au Lannic dans un troisième qu'il avait cette fois-ci acheté pour la somme de 600 francs à tonton Louis Laurence. Peu de temps après, toutefois, il accepta d'en exploiter un nouveau qui appartenait à mon oncle Le Garrec, qu'il quitta d‘ailleurs pour s'occuper ensuite de celui de M. Martin, enfin, en 1905, il se rendait acquéreur du moulin de Kermeur datant de 1728.

 

 


Le moulin du Kermeur vers 1925

photo G. L. Arlaud

source Ministère de la culture (France), Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN

 

 

Autrement dit, il eut, ce brave M. Praslon, une vie de meunier bien remplie, et, pendant que tristement à travers toute la presqu'île certains vieux moulins projetaient vers le ciel leurs bras décharnés comme si, dans une fervente prière, ils demandaient au Bon Dieu de leur procurer encore un peu de travail, tandis que d'autres frisaient la ruine sous leur chapeau défoncé qui ne protégeait plus les murs lézardés, alors que l'on démolissait çà et là quelques-uns pour faire place à des habitations, celui de Kermeur, durant encore plus de trente ans, permit aux petits enfants d'aller danser leurs rondes et de s’ébattre en contemplant le prestigieux manège des ailes et en écoutant, ravis eux aussi, la chanson qui tant me charmait lorsque j'avais leur âge.

... Et je le broie ton grain !… Et je le mouds ton grain !

 

 


Le Père Praslon, septembre 1933

(source : collection particulière)

 

Puis vinrent les durs moments de l'Occupation. Camaret à l’extrême pointe de la presqu'île, sans arrière-pays agricole, n'ayant qu'une population de pêcheurs qui ne pouvaient plus pratiquer leur métier, connut plus que partout ailleurs les denrées rares, l'approvisionnement en viande souvent nul, les tickets d'alimentation qu'on ne pouvait honorer faute des marchandises qui n'arrivaient pas et qui ne pouvaient de ce fait être distribuées, Camaret, dis-je, connut une période difficile, presque de détresse.

La situation devint encore plus pénible lorsque les habitants, sept ou huit mois avant la libération, se rendirent compte que, même le pain, allait manquer, la farine ne parvenait plus ; il fallait à tout prix trouver un remède à cet état de choses.

M. Merrien, secrétaire de mairie à l'époque, jugeant que la commune produisait un peu de céréales : froment, seigle, blé noir et orge, s'avisa de faire diriger les récoltes sur Camaret et il décida la municipalité à faire une démarche près du père Praslon pour lui demander d'apporter son concours à l'initiative communale en acceptant de mettre son moulin au service de la petite collectivité.

 

Le brave M. Praslon, qui avait à ce moment 82 ans, était alité ; on dépêcha vers lui Alexandre Gourmelon et Corentin Keraudren, tous les deux charpentiers et faisant, il me semble, partie du Conseil Municipal. Devant le vieillard fatigué, ils exposèrent la grande misère de la population, ils mirent tout leur cœur à plaider la cause des Camarétois et, finalement, parlèrent de l'idée qu'avait eue M. Merrien de faire moudre le grain qu'on pourrait trouver sur le territoire environnant afin de procurer aux habitants de ce bout du monde, dont on ne semblait pas beaucoup s'occuper, un peu du pain nécessaire.

Alors le Père Praslon eut un sursaut de bonheur et ses yeux pétillèrent de joie… C'était son moulin, son cher et vieux moulin qui allait maintenant travailler pour le bien de tous, qui allait de nouveau gaillardement tourner en chantant son refrain.

... Et je le broie ton grain !… Et je le mouds ton grain !

 

Tout ému le vieil homme inclina la tête et, relevant légèrement le buste, il entrouvrit le col de sa chemise ; une énorme clef pendait sur sa poitrine retenue autour du cou par un épais cordon puis, prenant ce cordon des deux mains il le fit passer par dessus sa tête comme s'il eût voulu s'en faire une auréole et, remettant la clef à ses visiteurs, d'un geste solennel, tel saint Pierre tenant celles du paradis, il leur dit simplement :

Dall Bugale ! voilà mes enfants, faites du bon travail.

Cette scène, d'une sobriété patriarcale, eut des conséquences heureuses pour toute la population, les deux charpentiers restaurèrent les ailes pour lesquelles mon ami Joseph Keraudren fournit le bois nécessaire. 3 On trouva deux gars, Hervé Le Roy et Yvon Kersalé, qui consentirent à faire marcher le moulin et, bientôt dans l'anxiété de ces derniers mois de l'occupation, pendant que chacun sentait que des événements importants allaient se dérouler sans tarder, on entendit de nouveau la douce chanson :

... Et je le broie ton grain !… Et je le mouds ton grain !...

 

Jim-E. Sévellec

 

 


Le moulin du Kermeur entre 1932 et 1939

carte postale éditions CAP

 

Précision historique. Le moulin n'a pas repris du service quelques mois avant la fin de l'Occupation, mais seulement quelques jours : la Kommandantur a donné l'autorisation de le faire tourner à nouveau le 23 août 1944, soit 27 jours avant la Libération (Source : notes personnelles d'Emile Thomas, maire de Camaret en 1944).

 

NOTES

 1. Reproduit avec l'aimable autorisation de M. Erlé MANUEL - ce texte est paru précédemment dans les Cahiers de l'Iroise ↑ 

 2. Signalons au sujet des moulins de la presqu'île, les travaux de recherches de Didier Cadiou, parus dans les revues Avel Gornog n°8 et n°9 ↑ 

 3. Le prix des matières premières et de la main-d'œuvre étaient si élevés après la guerre que Keraudren dut attendre très longtemps le remboursement de sa facture de 8.125 F !... (délib. Conseil municipal du 11/08/1945) ↑ 

 

 

 

  Remerciements à la famille Rigault (Lambézen, en Camaret) et à Jean-Pierre Haelters et Jean-Pierre Kermel (Camaret) pour leur documentation.

 

 

 

 

17/04/2016

  Les voiles du moulin avaient été réalisées (ou restaurées) pendant la guerre par mon oncle Auguste Landrac avant-dernier voilier de Camaret.

  Je confirme qu'à cette époque les denrées se faisaient rares en presqu'île et qu'enfant j'ai retrouvé l'appétit à la campagne à Pleyben où nous avions évacué et trouvé du pain blanc et du beurre à volonté !

  Andrée Clairaux

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