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5 juin 1927

Le naufrage du langoustier Dixmude

 

 

UN DRAME DE LA MER

       Le langoustier Dixmude, de Camaret, fait naufrage sur les récifs du Guesde

      QUATRE HOMMES DISPARUS  -  LA NUIT TRAGIQUE DU MOUSSE ET DU NOVICE

 

Camaret, 6. — Le Dixmude, l'un des plus beaux sloops langoustiers de la flotille de Camaret, levait l'ancre, dimanche soir, pour aller mouiller ses casiers dans les parages de l'île de Sein.

A 21 heures, grand'voile, trinquette et foc au vent, le Dixmude prenait le large, ayant à bord : le patron Yves Morvan, 30 ans, de Camaret ; Joseph Le Berre, 28 ans, de Kermeur; Jean Kerdreux, 28 ans, de Camaret ; Jean Drévillon, 24 ans, de Brégoulou; Pierre Ménesguen, 18 ans, de Kerdreux, et Pierre Quintric, 14 ans 1/2, de Lesteven, près Morgat.

Une demi-heure plus tard, à la hauteur du Guesde, l'amure du foc se rompit. Yves Morvan se rendit immédiatement compte qu'il n'était plus maître de sa manœuvre. Entraîné par le courant, le voilier fut drossé sur les récifs. Et l'équipage, atterré, entendit le patron murmurer : « Nous sommes perdus !»

Au même instant, il y eut un choc, suivi d'un sinistre craquement. Le gui tomba sur les pieds des malheureux pêcheurs, tandis que l'eau s'engouffrait dans le bateau.

L'équipage songea immédiatement aux deux annexes. Mais l'un de ces petits canots coula avec le sloop.

Le patron, le matelot Drévillon et le mousse sautèrent dans l'autre. Ils ne devaient pas y rester longtemps : le fragile esquif n'avait pas de bouchon et il disparut lui aussi sous les flots.

Que se passa-t-il alors ? On ne le saura sans doute jamais.

Un quart d'heure après, le petit mousse s'agrippait à la tête du mât du Dixmude, qui émergeait d'un mètre environ; il avait sous lui Jean Kerdreux.

Tiens bon ! lui disait ce dernier... prends cette corde et amarre-toi.

L'enfant obéit, puis se sentant soutenu par le grelin, il regarda autour de lui : la pointe du Toulinguet était à huit cents mètres, tout près les vagues s'élançaient en écumant sur les roches, nulle voile ne se voyait à l'horizon.

Tous ses compagnons, à l'exception de Kerdreux, accroché lui aussi à l'épave, avaient disparu.

 

Vains appels

Cependant, la brise fraîchissait, la nuit tombait, et les deux malheureux ne virent pas le novice, Pierre Ménesguen, qui, debout sur un récif qu'il avait pu atteindre à la nage, faisait des signaux de détresse, pensant pouvoir attirer l'attention d'un bateau de pêche de Camaret filant grand largue.

Les appels du jeune homme se perdirent dans le bruit du ressac.

Alors, rassemblant ses forces, il se jeta résolument à la mer et nagea vers la barque, criant toujours : « A moi ! A l'aide ! Au secours ! » Vains efforts ! Minuscule point noir se confondant avec les vagues, il ne fut point aperçu; ses cris ne parvinrent pas jusqu'à ses concitoyens, qui poursuivirent leur route, ignorant le drame poignant qui se déroulait tout près d'eux.

Ménesguen rebroussa alors chemin. Mais il eut à lutter cette fois contre le courant et mit plus d'une heure à regagner la roche.

Ah ! j'ai bien cru que ma dernière heure avait sonné, a-t-il dit, mais je n'ai pas perdu courage...

 

A bout de forces, le compagnon du mousse coule

Tout à côté, les forces de Jean Kerdreux diminuaient, de minute en minute. Toujours accroché au mât du Dixmude, les jambes et le bassin baignant dans l'eau, il faisait part de son appréhension au mousse, placé au-dessus de lui.

Je n'en peux plus, criait-il, tiens-moi !

Et l'enfant lui prêtait tour à tour l'appui de sa main droite, puis de sa gauche, l'encourageant de son mieux. Mais cette situation ne pouvait durer. Le malheureux Kerdreux, qui grelottait depuis une heure, lâcha prise tout à coup, glissa, et la mer se referma sur lui...

 

Seul dans la nuit

Le gosse demeura seul, serrant plus fort le mât du sloop, qui roulait constamment de bâbord sur tribord.

Les lames, m'a-t-il dit, passaient à tout instant par-dessus ma tête. J'étais gelé. Mais je pensais bien qu'on m'aurait secouru. J'ai tenu bon !

Tu as dû trouver la nuit bien longue ?

Ah ! vous pouvez le dire. Mais j'ai pensé à ma mère, qui est veuve. — Mon père a été tué au début de la guerre — et à ma petite soeur.

« Et puis, le jour est venu. Ça m'a donné du courage... »

 

Sauvé !

Ce n'est cependant qu'à 7 h. 30 du matin que le patron François Taniou, 80 ans, patron de la barque John French, aperçut l'enfant, vêtu de rouge. Il mit aussitôt le cap dessus, mais se rendit rapidement compte qu'il était impossible d'accoster l'épave.

Prenant un aviron, il le lança dans la direction du gosse.

Jette-toi à l'eau, cria-t-il, et croche dedans ! »

Pierre défit ses liens, se lança à la nage. Ce fut pour couler aussitôt, sans avoir pu atteindre la rame.

Vigouroux, matelot de Taniou, avait heureusement prévu ce qui allait se produire. D'un adroit coup de gaffe il saisit l'enfant par sa vareuse de toile et le repêcha.

Pierre Quintric était si pâle qu'on le crut mort. Vite, on le réchauffa, on le couvrit de vêtements de laine, on le coucha dans le fond de la barque, et en route, toutes voiles dehors, pour Camaret !

 

Et de deux

A ce moment, des appels frappèrent encore les oreilles du brave patron Taniou. C'était Ménesguen, demeuré lui aussi cramponné toute la nuit au rocher qu'il avait pu atteindre, qui signalait sa présence.

Virer de bord et s'attarder, c'était exposer le moussaillon à mourir dans la barque.

Courage ! cria Taniou, on y va.

Et il mit le cap sur le canot Yves et Lucie, patron Alfred Lautrou.

Apprenant le service qu'on demandait de lui, Lautrou s'approcha de l'îlot où se tenait Ménesguen et, après bien des efforts, il le hissa dans sa barque.

 

L'émoi à Camaret

Le naufrage ne fut connu à Camaret que lorsque Taniou débarqua l'enfant, qui fut transporté en toute hâte chez une tante, Mme Daniélou, qui le coucha.

Quelques instants plus tard, le novice Ménesguen était également conduit chez une parente.

Une grande partie de la population se porta peu après sur les quais. On questionna les sauveteurs, mais ceux-ci ne purent donner aucun détail.

On juge de la douleur de la femme du patron Yves Morvan et des parents des autres disparus. Les malheureux ont encore cependant espoir. Ils pensent qu'un bateau, partant en mer, a pu recueillir les naufragés.

Des recherches ont été immédiatement entreprises. Un canot à moteur, appartenant à M. Toussaint Garrec, et le sloop Rémora sont allés sur les lieux, mais ils n'ont trouvé que des engins de pêche.

 

 

Le petit mousse et sa mère

A quatre heures, quand j'arrive à Camaret, plusieurs groupes de marins commentent le tragique événement.

Je serre, au passage la main des trois sauveteurs : Taniou, Vigouroux et Lautrou.

Ce que nous avons fait n'est rien, disent-ils. Il faut bien porter secours à son semblable. Nous n'avons qu'un regret : c'est de n'avoir pu ramener les autres...

Mais où se trouvent les rescapés ? Personne ne le sait sur le port, et, accompagné de notre dévoué correspondant, M. Salez, il nous faut aller de porte en porte pour apprendre l'adresse où ils reposent.

Ménesguen, accompagné de sa sœur, vient de partir chez une parente.

Nous avons heureusement la bonne fortune de rencontrer Pierre Quintric chez sa tante, Mme Daniélou. Il vient de se réveiller. C'est un beau et solide gaillard au teint bronzé, aux yeux vifs, à la chevelure opulente.

Excusez-moi, me dit-il. Mais je viens de passer une nuit si terrible que je n'ai pas les idées très nettes...

Je lui propose de le conduire en auto chez lui. Il ne sait s'il doit accepter. Sa tante et sa cousine insistent pour qu'il aille au plus tôt rassurer sa mère. Et nous voilà partis tout là-bas, près du Cap-la-Chèvre, au village de Lesteven.

Après avoir passé Morgat et grimpé la rude côte menant à Saint-Hernot, une détente se produisit soudain chez notre jeune compagnon. Apercevant le vieux moulin de son village et la porte bleu ciel de la maisonnette où il habite, il fond en larmes.

Ah ! me dit-il, j'ai eu bien peur de ne plus revenir ici.

Nous poussons la porte. L'humble pièce, d'une propreté méticuleuse, est vide. Mme veuve Quintric est à Brest et c'est en arrivant tout à l'heure à Morgat qu'elle apprendra le grand danger couru par son fils.

Dans un cadre d'or, recouvert de gaze rose, placé au-dessus de la cheminée, nous apercevons la photographie du jeune Pierre.

Veux-tu me confier ton portrait ?

Mais certainement.

Et, d'un coup de couteau, le mousse du Dixmude tranche le cordon du cadre et nous le remet.

Heureux, très heureux de se retrouver chez lui, Pierre Quintric me remercie et me reconduit jusqu'à l'auto.

Mais voici une autre voiture, chargée de femmes du pays. Parmi elles, se trouve la mère de l'enfant. Elle descend vite. Très pâle, elle se précipite dans les bras de son garçon et, dans une chaude étreinte, les larmes de la mère se mêlent à celles du fils.

Il est sauvé, dit-elle, que Dieu soit béni !

E. A.         

Dépêche de Brest, 7 juin 1927

Photo de Pierre Quintric parue dans la Dépêche de Brest du 12 juin 1927

 

Dépêche de Brest, 8 juin 1927

Le naufrage du Dixmude

Camaret, 7. — Le langoustier Rémora est rentré ce matin avec une partie des
engins de pêche du Dixmude, qui a coulé dimanche soir, près du Toulinguet, dans les circonstances que l'on connaît.

Parmi les épaves recueillies se trouve un turban noir ayant appartenu à l'un des naufragés.

Le Dixmude, qui subit l'assaut des lames, se démolit, et l'on pouvait voir, aujourd'hui, de nombreux morceaux de bois, provenant de ce malheureux bateau, partir à la dérive du côté de Penhoat.

Les homardiers qui travaillent dans les environs se sont livrés à des recherches. Mais, jusqu'ici, aucun corps n'a été aperçu.

 

 

 

Dépêche de Brest, 18 juin 1927

CAMARET. — CADAVRE RECUEILLI EN MER.

Le bateau « Torrent de Cedron », n° 744, d'Audierne, patron François Spinec, est rentré, hier, à Camaret, avec un cadavre, celui de Joseph Le Berre, du village de Kermeur, 28 ans, matelot du « Dixmude », qui se perdit le 5 juin sur le récif du Guesde.

Il a été reconnu au débarcadère par son père.

Le cadavre avait été retrouvé à 4 milles au ouest-nord-ouest des Parquettes, à 9 heures du matin.

 

 

 

Dépêche de Brest, 19 juin 1927

CAMARET. — ON RETROUVE LE CORPS D'UN DEUXIÈME MATELOT DU DIXMUDE

Le homardier Eole, patron Auguste Guéguinou, a ramené hier au port le corps du matelot, Jean Drévillon (4378 Cam.), 23 ans, un des disparus du Dixmude, retrouvé par le travers de la pointe du Toulinguet.

Les parents, habitant Brégoulou, en Crozon, ont été prévenus.

 

 

 

Dépêche de Brest, 30 juin 1927

CAMARET. — On retrouve le corps du patron du Dixmude

Hier matin, vers 5 heures à Lostmarc'h, baie de Dinant, en Crozon, on a retrouvé le corps de M. Yves Morvan, patron du Dixmude, perdu sur les récifs du Guesde, le 5 juin, dans les conditions relatées par la Dépêche. Le cadavre, qui a séjourné 24 jours dans l'eau, était dans un état complet de putréfaction.

L'infortuné patron fut identifié grâce à son alliance. La famille ayant été prévenue, le corps sera ramené à Camaret en automobile.

 

 

 

Ouest-Éclair, 1er juillet 1927

CAMARET-SUR-MER. — LES OBSÈQUES DU PATRON DU DIXMUDE

On a découvert à fleur d'eau, avant- hier matin, dans la baie de Dinan, avant-hier matin, dans la baie de Dinan, le corps d'Yves Morvan, l'infortuné patron du Dixmude, qui périt dans les circonstances relatées le 6 juin.

Les obsèques ont eu lieu hier matin. Toute la population de Camaret se pressait dans la petite église. Le service fut célébré par le recteur, M. Bossennec. M. Poupat, maire, et le Conseil municipal y assistaient, ainsi que le poète Saint-Pol-Roux, le grand ami des pêcheurs.

On n'a pas encore retrouvé le cadavre de Kerdreux, le dernier marin de l'équipage du Dixmude.

 

 

 

Dépêche de Brest, 6 juillet 1927

CAMARET. — EN FAVEUR DES FAMILLES DES VICTIMES DU DIXMUDE

Une somme de 200 francs a été recueillie au cours d'une fête donnée à bord du paquebot Groix, des Chargeurs Réunis, par les agents du service général de ce paquebot et remise par eux à la caisse des gens de mer pour être partagée entre les familles des victimes du langoustier camarétois Dixmude, qui ont trouvé la mort dans ce naufrage.

Les personnes intéressées sont priées de se présenter au bureau de l'inscription maritime où aura lieu la répartition de cette somme.

Aux organisateurs de cette fête, ainsi qu'aux généreux donateurs, nous disons un sincère merci.

 

 

 


 

 

 

 

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