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25 décembre 1909

Un Noël extraordinaire à Camaret-sur-mer

 

Si vous êtes Camarétois de naissance, de cœur ou d'adoption, vous avez forcément entendu parler du célestogramme de Saint-Pol-Roux. Mais connaissez-vous les détails de l'immense Joie qui a déferlé cet après-midi-là sur le quai ?

Il n'existe pas de photos de l'événement, mais de toute façon elles n'auraient pas pu concurrencer la force du récit d'un certain Albert Mauger (un des pseudonymes de Saint-Pol-Roux), dans La Dépêche, récit que que vous allez lire ci-dessous...

En guise d'introduction, voici la lettre, datée du 14 décembre de cette année 1909, de Saint-Pol-Roux à André Antoine, metteur en scène parisien et camarétois estival.

 

Mon cher Ami,

[…] j’ai formé le puéril projet, à l’occasion de la Noël, d’offrir agrès de gymnastique et jouets aux enfants des Écoles de Camaret et de les leur distribuer "sous les apparences" du Père Noël arrivant sur une barque – avec poëmes à l’appui, etc… Faut bien amuser les gosses, surtout quand on a assumé la naïve et charmante fonction d’être leur officiel délégué. Père, tu me comprendras.

Donc il me faudrait un costume de Père Noël (soit un long bonnet à poils ou bien une tiare de grand-prêtre, et une robe de bure ou une simarre d’astrologue azur, selon que tu décideras un Père Noël réaliste ou de légende). Plus une perruque blanche, sans front autant que possible (pour éviter trop de maquillage en plein jour sur le quai), et une très longue barbe blanche de burgrave.

Or je compte sur ta bienveillance pour mettre à ma disposition ce costume et ces postiches que je te renverrais en colis postal, dès la cérémonie finie. Je ne trouverai jamais ça à Brest. Bien entendu, je paierai les frais de location que tu fixeras. Si tu peux, envoie le tout en colis postal […] et ce le plus tôt possible. Sinon veuille me télégraphier : impossible. Car je ne voudrais pas décevoir les enfants.

Tout cela, entre nous, confidentiellement, comme il sied entre gensss de théâtre !.. 1

 


Ils y étaient... (la photo a été prise entre 1906 et 1911)


 

LE PÈRE NOËL à CAMARET

Un événement sans précédent, de style légendaire, accompli avec une audace héroïque, a eu lieu le jour de la Noël, à Camaret.

Le Père Noël y est apparu, et avec quel formidable succès ! De mémoire d'homme, assurent les vieilles gens, on ne vit à Camaret pareille affluence, enthousiasme analogue.

Dès l'aube les fidèles, se rendant à la basse messe, furent littéralement stupéfaits de voir les murailles de la cité et des villages avoisinants recouverts d'affiches bleues ainsi libellées :

 

C É L E S T O G R A M M E

du Père Noël aux enfants des écoles de Camaret

 

 

Mes chers enfants,

Apprenant votre souhait de ma venue en vos écoles le jour qui porte mon nom, je souscris avec joie à ce vœu gracieux.

Donc, prière à vous tous, filles et garçons, de m'espérer sur le quai — chacun une branche de pin, de houx, de laurier, de tamaris ou de genêt à la main — vers trois heures un quart de l'après-midi, ce présent samedi vingt-cinq décembre de l'an mil neuf cent neuf, chiffre de mon âge. Ma hotte merveilleuse sur l'échine, j'arriverai par mer, par terre ou par ciel.

Gloire aux enfants de Camaret !

 

LE PÈRE NOËL                

 

La matinée

On devine la joie folle des enfants, joie d'ailleurs ressentie par les parents : on allait donc voir enfin le bonhomme Noël sortir du pays des rêves avec sa hotte à jouets !

Vive le Père Noël !

Tel est le cri qui court aussitôt à travers Camaret, et bien que l'arrivée ne doive se produire que l'après-midi, les yeux interrogent tout de même la colline, la mer, l'espace... Car enfin, par où se présentera le personnage mystérieux, si cher à nos petits anges d'ici-bas ?

Les groupes se font de plus en plus compacts. L'anxiété des enfants redouble de minute en minute. Voyez-vous qu'il prenne fantaisie au Père Noël de devancer l'heure ? Mais non, le Céleste bonhomme est, paraît-il, d'une exactitude rigoureuse — parce qu'il n'a pas d'autre montre que le soleil qui, lui, ne se dérange jamais, même quand les nuages s'en mêlent.

Or, il fait un vrai temps de féerie.

 

Sur le quai

A partir d'une heure et demie, c'est la cohue des grands jours. Le quai Gustave-Toudouze regorge de monde. Écoliers, écolières, pupilles, fermiers, militaires, pêcheurs, fonctionnaires, officiers, gardiens de batterie, dames chapeautées à la mode ou bien en coiffe de fête forme un ensemble joliment bariolé. On me désigne tout récemment nommé délégué cantonal, le nouveau commandant de la côte sud, le constructeur Kéraudren, le docteur Imbert, le lieutenant Troadec, et tant d'autres personnalités du pays.

Allant et venant, les enfants foisonnent, à se croire dans le Royaume des Gosses. Tous ils tiennent, qui une branche de sapin, qui un rameau de buis, comme une entrée à Jérusalem. Sur les bras maternels, les bébés, intrigués, ouvrent des yeux grands comme des étoiles. A deux heures et demie, survient l'avalanche des gars et des filles de Kerloc'h, dont on applaudit les hauts branchages. On se sent électrisé. Quelques institutrices et instituteurs exhortent leurs élèves, mais allez commander à l'enfance déchaînée. Les uns courent vers un point, les autres vers un autre point du quai, selon qu'ils présument que c'est par ci ou par là que va se montrer le Père Noël. Il en est qui interrogent l'Océan, alors que certains préfèrent — dame ! par ce temps d'aéroplanes ! — sonder le ciel.

 

L'Apparition

Tout à coup, c'est une formidable explosion de clameurs et une ruée générale vers le bord du quai.

On vient d'apercevoir là-bas, sur la mer, doublant le sillon du château Vauban, une barque et, à l'arrière de cette barque, les yeux puissants des écoliers ont vite fait de découvrir... qui ?

Lui !... Le Père Noël !...

Eh oui donc, le bon Papa Noël debout, appuyé sur une palme, sa longue barbe blanche se détachant sur l'azur des flots qu'éclaire un soleil d'été.

On dirait que le soleil veut voir aussi.

Vive le Père Noël !...

Assurément, ces acclamations formidables parviennent aux oreilles du voyageur deux fois millénaire, encore loin cependant, car on le voit agiter sa palme.

L'effet est simple et grandiose, et dans quel incomparable décor !

Peu à peu s'avance la barque, et elle fait bien, car si elle devait tarder trop, la marmaille serait très capable de se précipiter à sa rencontre à la nage.

Je jette un coup d’œil sur le quai. A ce moment, il éclate de monde, des grappes humaines occupent les fenêtres, les bateaux amarrés aux organeaux ont aussi leur contingent de curieux, tous agitant des branches.

— Vive le Père Noël !

L'instant prend une allure solennelle.

Un frisson d'art passe sur la multitude. La simplicité biblique de cet avènement émeut violemment les femmes, qui volontiers se signeraient. Devant les frémissements des bébés tendant leurs menottes, les sceptiques eux-mêmes subissent la grandeur du tableau; et si quelques mauvaises langues s'apprêtaient à médire, sans nul doute sont-elles rentrées déjà dans leur taupinière.

Sans savoir de façon absolue, on pressent toutefois que cette barque porte un cœur qui doit chérir Camaret jusqu'à l'adoration.

Maintenant, on distingue davantage, et l'on peut reconnaître, entre une poupée et un tambour, un beau polichinelle de soie brimbalant ses bras au rythme des avirons et dominant la hotte d'or du Père Noël, toujours droit à la poupe de la barque, qui répond par des gestes très anciens aux très jeunes vivats de la terre.

Vive le Père Noël !

 

Débarquement du Père Noël

Le canot accoste à la petite cale. Alors, c'est le déchaînement le plus extraordinaire auquel il soit permis d'assister, tandis que les deux vigoureux rameurs font descendre avec précaution leur extraordinaire passager, dont les doigts chargés de bagues rares tremblent comme des feuilles.

Ah ! qu'il est vieux ! lance un vieux marin dans le brouhaha des gosiers; bien sûr qu'il a plus de mille ans !...

Impossible au Père Noël d'avancer. Le remous des vagues le mord aux chevilles, mais n'a-t-il pas devant lui une mer autrement mouvante — une mer humaine ? Tout le monde, grands et petits, veut approcher l'étrange Apparition, dont la robe de bure s'écarte pour laisser voir une tunique azur aux avant-bras d'orfroi. En dépit de leurs maîtres, venus souhaiter la bienvenue au vénérable ami de leurs élèves, ceux-ci s'accrochent au Père Noël, débordé et littéralement traîné par l'heureuse marmaille aux hurrahs étourdissants, sur le quai, où la petite Marie-Ange Le Hir et d'autres fillettes lui offrent des bouquets...

Honneur au Père Noël !...

Ah ! les enfants tiennent pour de bon le personnage de leurs rêves, et ils ne le lâcheront point !

Tous les rameaux s'agitant, le Père Noël semble se trouver dans une forêt fantastique.

Jamais monarque n'eut réception plus magnifique.

M. Guéguinou, maire de la commune, qui, en qualité d'ancien professeur des lycées de l’État, connaît à merveille les enfants, et qui, jusqu'ici, n'a pas jugé à propos d'intervenir — car il sentait pertinemment que c'eût été provoquer une révolution enfantine — déclare le moment opportun de faire pratiquer une coupe sombre dans la forêt et ménager une haie par son fidèle garde-champêtre, aidé de personnes de bonne volonté. Cela permet au Père Noël de gagner une estrade hâtivement dressée, d'où il va pouvoir haranguer un public subjugué, fasciné, qui n'est pas encore revenu de sa surprise.

 

Les civières merveilleuses

Avant de parler, Père Noël esquisse un geste magique, et la foule voit inopinément surgir du Styvel, drapeau en tête, un cortège de cinq civières croulantes de tous les jouets imaginables, et suivies d'un attelage contenant des appareils de gymnastique.

Disons tout de suite que les joujoux sont destinés aux classes enfantines, et que les agrès seront ainsi partagés : Un gymnase complet, chapiteau hêtre, 3 m. 50 de haut, à l'école des garçons, dirigée par M. Edy; une balancelle, monture en chêne, avec gondoles à deux places, et une balancelle, monture en hêtre, à une place, à l'école des filles, directrice Mme Lucas; plus une balancelle devant servir aux deux classes annexées de Mme Oulhen et de M. Trellu.

 

Harangue

Mais le Père Noël parle, et l'on s'aperçoit vite que le vieux bonhomme à la voix cassée s'exprime superbement, à la manière des poètes. Écoutons :

Ce que j'apporte à ces marmots, garçons et filles ?
Des jouets façonnés par les anges du ciel : Poupées, fifres, tambours, agrès, ballons et billes.
Et ce bonhomme ancien, c'est le Père Noël.

J'arrive du pays des naïves légendes
Où la neige éternelle habille les sapins
Pour apporter la Joie aux enfants de ces landes
Où les menhirs sont habités par des lutins.

Tour à tour, je m'épands, selon la destinée,
A travers la bourgade et la ville en sommeil,
Je pénètre par l'huis ou par la cheminée,
Et l'enfant me bénit quand survient son réveil.

Car j'ai laissé dans l'âtre, où guette une étincelle,
Le bonheur dont l'enfant rêve en cette saison,
Sous l'aspect d'un poupard ou d'un polichinelle,
Et mon joujou fait rire toute la maison.

Oui, mon devoir est d'égayer tous les fronts roses
Et de garder leurs yeux du fleuve amer des pleurs.
Je diffère pour vous, petits, les soirs moroses.
Assez tôt vous saurez la liste des douleurs.

Elles viendront plus tard ces terrestres épreuves
Ou l'on va, des serpents embarrassant les pas.
Vous verrez les soucis rouiller vos âmes neuves,
Vous connaîtrez la peine et subirez Judas.

Rappelez-vous alors la puérile aurore
Que traversait l'ancêtre à la hotte de ciel,
Et vous retrouverez votre sourire encore
Dans un jouet venu jadis du vieux Noël.

Le cortège s'ébranle enfin, et c'est un multicolore défilé de joujoux se rendant, à travers places et rues, aux classes enfantines, où la distribution aura lieu par les soins de Mme Saint-Pol-Roux, assistée de Mmes Oulhen et Gourmelon : poupées, instruments de musique, ménages, panoplies, tirs, toupies, automobiles, moutons, et tous les animaux de l'Arche de Noé.

C'est ici, au surplus, que le Père Noël videra sa hotte, tandis que les appareils de gymnastique filent vers les classes supérieures. Le partage opéré, les trompettes, tambours, cymbales, fifres ocarinas, castagnettes, etc., s'unissent dans un charivari comme on en entend rarement.

 

Adieux

Mais l'heure passe, et le canot attend le Père Noël, qui s'est dit demandé le soir même dans un petit village d'Amérique.

Non sans distribuer paquets de tabac et de carotte à chiquer aux pêcheurs sur son passage, accompagné par l'orchestre improvisé, voici le Père Noël qui va s'embarquer, malgré les enfants qui veulent à toutes forces le retenir.

Le bonhomme montre sa hotte vide à ses petits camarades.

Hélas !... Voici ses dernières paroles :

Je retourne au pays de la froide avalanche.
Adieu, mes chers mignons, vous ne me verrez plus !
Gardez bien la mémoire de la barbe blanche
Du rare pèlerin qui date de Jésus.

D'autres filles et gars, là-bas, parmi le monde,
M'espèrent, les yeux vifs ainsi que des bijoux ;
Puisqu'il faut qu'aujourd'hui l'on s'amuse à la ronde,
Laissez-moi leur porter mon tribut de joujoux.

Regagnez le foyer où votre aïeule tremble
Et dites-lui qu'aussi je souris aux vieillards.
Dites à tous enfin que sur eux tous ensemble
J'ai posé le divin baiser de mes regards.

Je n'ai pas oublié, paysans, vos chaumières,
Car j'ai béni trois fois leurs prochaines moissons ;
Je n'ai pas oublié, pêcheurs, vos barques fières,
Car j'ai mis dans ces flots des milliards de poissons.

Ainsi, petits et grands, soyez en allégresse,
Tous ayant votre part dans mon passage bleu.
Souvenez-vous de moi comme d'une caresse.
Adieu, Camarétois, — je vais vers le bon Dieu !

 

Départ

Adieu ! Père Noël ! Adieu !

L'émotion est indescriptible. Pour cacher leur chagrin, un enfant tape à tour de bras sur son tambour, alors que celui-ci vide ses joues roses dans un long clairon et que celui-là tire un « couic » du ventre d'un polichinelle à ressort.

Cinq heures un quart. La barque s'éloigne, au milieu des regrets unanimes. Papa Noël agite sa palme lentement, puis la laisse tremper dans les flots, pour la relever ensuite pleine de gouttes qui tombent, telles des larmes.

— Adieu ! Père Noël ! Adieu !

Et l'on voit la longue barbe blanche s'éloigner vers la chapelle de Notre-Dame de Rocamadour puis se fondre peu à peu, tel une boule de neige; tout là-bas, derrière la cale Vauban, s'élève une interminable clameur de reconnaissance.

— Vive le Père Noël !!!

 

Un Poète

Ainsi s'effaça, dans le mystère du soir, l'exceptionnelle vision que savent seuls évoquer et que peuvent seuls se permettre les poètes — car il est temps de le dire, et de le dire tout bas, pour que les enfants n'entendent pas — le Père Noël n'était autre que le poète Saint-Pol-Roux, grand ami des Camarétois et délégué cantonal auprès des écoles de Camaret. C'est à ce dernier titre qu'il a voulu, quittant sa chère solitude, et bravant l'ironie toujours si commode, réjouir de la paternelle et radieuse figure du Père Noël les enfants dont il a assumé le délicieux parrainage.

Et vous verrez que cette vision unique et sans lendemain persistera dans les mémoires.

Plus tard, les vieux conteront cette histoire à leurs descendants : Il était une fois une barque enchantée...

D'ores et déjà, des petiots, à leur réveil, doivent dire à leurs parents :

« Pauvre Papa Noël... il est bien loin sur la mer à présent... Pourvu qu'il n'ait pas froid... Pourvu qu'il n'ait pas faim !...»

Et les petites mains envoient sans nul doute au Voyageur regretté le baiser des petites âmes attendries.

Albert MAUGER.

 

 


1 Lettre de Saint-Pol-Roux à André Antoine, sur lesfeeriesinterieures.blogspot.fr. ↑ 

 

Source de l'article : la Dépêche du 28 décembre 1909

 

 

 

 

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